Familier des insectes, des bruits secs du mouvement lourd
de leurs élytres, autant que de la vie mystérieuse des pierres,
de celle des arachnides, mais aussi de la symbolique des manuscrits - peut-être
de cette Apocalypse de Béatus de l’approche de l’an 1000 - Pascal
Maisonnat sait utiliser les rythmes, hiérarchiser les formes de
la nature organique ou minérale qui l’inspire. Il en fait son propre
grimoire.
Nature bien antérieure au discours qui sépare
le mouvement du Verbe ! Maisonnat explore l’inconnu qui est en lui, comme
l’entomologiste se penche sur le plus petit qui l’entoure, et qui est déjà
nous !
Des rythmes cubains de Compay Segundo, du Vaudou, mais
aussi de la Provence sèche et aride, l’artiste tire un autre lui
même, puis l’expérience dans son travail, de chemins nouveaux
non sus, mais voulus. Il a aussi appris de l’espace-Océan que l’on
ne commande pas aux flots, qu’il faut se laisser porter par eux. Savoir
prendre la vague, comme agir avec la toile par étapes-fragments
d’une conquête… Patience : maître mot pour tendre à
la réalisation.
Jeu avec cette poussière de ponce, de marbre,
avec la cendre, les cendres… Poudres qui relient à des origines
ancestrales, à des énergies vitales, ce à la différence
d’autres artistes qui utilisent des “détritus culturels”.
Voici Maisonnat dans sa “nuit” au moment où l’imagination
semble l’emporter sur le jugement, mais au moment aussi où la lame
de fond rejoint le frémissement, dans un travail où l’incontrôlé
le dispute à la rigueur. Equilibriste sur sa planche le voici, passeur
d’espaces bien incertains qu’il appréhende avec fébrilité
- panique dit-il -. Dans cette nuit profonde - diurne ou nocturne peu importe
- comparable par bien des aspects à celle de l’Adepte, il s’agit
dans un lieu choisi et comme consacré de détruire.
Un sursaut encore à l’emploi de ce verbe ? Il
faut certes avoir beaucoup appris avant de penser à détruire
- ce que beaucoup oublient - ensuite peut être, beaucoup détruire
pour construire plus avant, c’est à dire conduire. Maisonnat en
est là, c’est dire qu’il est bien engagé sur la voie du bâtisseur.
Retrancher pour se retrouver autre, après l’Abstraction et son courant
expressionniste proche ici, mais comme d’une filiation historique. Le choix
du peintre c’est d’abord face à l’uniformité (silence-vide
de l’espace et de la matière choisie mais inerte) de laisser se
déclencher des mouvements proches au départ de l’instinct,
du chant-premier, et de fixer des images fugaces venues pour la plupart
de l’inconscience psychique. Des traces, des traits, une matière-empreinte,
dans cet ordre, pour que simultanément et par cette alchimie - avec
sa part de rêverie de l’imaginaire - s’élève la colonne
de l’esprit. Le minium - jadis utilisé pour les enluminures - les
poudres, les encres, deviennent les auxiliaires signifiants de l’intellectualisation
du geste. Va et vient d’élans, de mouvements libérateurs
et contradictoires, et peut être en tête le précepte
latin “Aedificabo et destruam” quite à l’inverser peu à peu.
Cette tension initiale, cultivée sans doute, se fixe pourtant ici
dans l’ordre d’un émotionnel contrôlé par une volonté
d’expression, qui, pour être convaincante aux yeux du peintre, passe
par la recherche de la perfection formelle. Celle-ci est atteinte par un
meilleur contrôle de la part de désarroi ou de contestation
; en vue de trouver un langage par le geste qui équilibre expressivité
et retenue. Les espaces chaotiques de Maisonnat - vision fausse car leur
réalité est autre - semblent dans leur enchevêtrement,
exprimer cette tension permanente née d’une impulsion. En fait,
leur réalité est bien celle du langage du peintre qui est
double. Langage subversif, et l’emploi de la bombe à l’aérosol
- après bien d’autres il est vrai : “pute musk ! - en est un exemple.
Voilà fait du tableau un champ contestataire d’expériences,
une bataille orchestrée. Langage à décrypter qui associe
vigueur et monumentalité pour un travail de sculpteur et d’architecte
des formes. Mais langage aussi pour y revenir un temps, de l’entomologiste.
L’œuvre devient alors ici, propos objectif, moment où l’artiste
surplombe et domine son espace-laboratoire, en devient l’observateur presque
détaché. La pensée vient, se forme, se fait nette.
Par elle le tableau est expérience en cours, examen, observation
de tout ce qui est accessible aux investigations. Comme une bonne partie
de la création contemporaine, le travail de Maisonnat évolue
de fait vers un non-agir, une ascèse tournée vers la contemplation
et centrée sur un objet au plus intime… mais, qui aime voir ses
secrets découverts ?
Le peintre n’oublie pas que l’œuvre est faite par ceux qui la regardent. Dans ses techniques mixtes de grand format, comme dans ses dessins travaillés eux aussi à même le sol et auxquels il donne parfois une autre dimension sur la toile, il s’agit toujours de ce balancement destruction-création, où les rythmes font l’essentiel. Mais ce n’est pas seulement dans l’urgence, car Maisonnat reprend souvent ses toiles quelques jours, quelques semaines plus tard. Ce besoin de différents regards successifs pour faire “exister” le tableau, l’isoler du monde alentour est important. Rapport au temps et à la finalité de l’œuvre qui a ici son rôle traditionnel “d’icône”, parfois même accentué par le cadre qui lui donne vraiment son espace propre. Que lire dans le passage du peintre à la “non-forme”, si passage il y a, car l’informel ne commence-t’il pas avec Picasso en 1910 ? Doit-on retenir ici la force tragique encore pleine de retours, autant que d’élans vers le “grand cercle” ? Plus simplement - si l’on peut dire - n’y a t’il pas dans cette révolte des formes, une re-composition déjà, qui transforme, par ce que l’on peut lire symboliquement comme des segments d’ADN, et d’épais entrecroisements de bâtonnets réguliers, la fin d’un monde pour un autre équilibre au centre de l’être ?
“Scorpion-limite, scorpion-complet” huitième signe
vers un achèvement dans le siècle futur. Le passage de la
brosse, impeccable, sans coulures ni projections - autre caractéristique
du travail de Maisonnat - laisse ses écailles de lumière…
encourageantes !
Semblant réécrire sur autant d’autoportraits,
de têtes niées, bandées, camouflées, comme pour
un grand palimpseste, mot à la mode mais significatif ici, le peintre
oppose bien à une époque qui sombre dans le rien, le vide,
l’ombre, une contre-image positive de la réalité qui s’oppose
à la folie de “la” réalité. Labyrinthe de la pensée
où l’attrait de l’obscur, du caché-heurté le dispute
aux coulées de lumière. Rituel contestataire aussi car Maisonnat
a le sens du sacré, de la fête, des jeux de l’amour et de
la mort. Proche du griot - musicien et sorcier - rencontré au Togo,
des peintres allemands et bien sûr des espagnols dans leur mystique
et leur goût pour le flamenco et les courses de taureaux.
Renouvellement enfin, pour une autre compréhension
possible de la vocation du destructeur : de la mort de la terre vient la
vie du feu, de la mort de l’eau celle de la terre… La transmutation, comme
changement de nature, est au cœur de ce travail tant par l’éthique
de celui-ci, que par le choix, on l’a dit, des substances utilisées
et de leur accomplissement sur la toile. L’or par exemple souvent employé
par Maisonnat peut renvoyer sans astuce et avec les ressources du temps
actuel, au principe de la pierre philosophale. L’argent évoque “l’astre
au front d’argent” : la lune, chère à Aline Gagnaire, notre
amie, avec ses moments qui lui permettaient d’être elle et l’autre
à la fois. Sublimation, magie de ces opérations mystérieuses
aux limites du moi.
Pour fondre les “petites âmes” ensembles.
Alain PIZERRA
juillet 1999